Superliminal, une autre exploration des espaces liminaux

13 minutes

Attention, cet article contient des spoilers du jeu, parce qu’une grosse partie de ce que je veux en dire parle de l’effet que m’a fait sa fin.

Superliminal est un jeu que j’ai pris dans un pack de jeu de « puzzle à la première personne », un genre de jeu que j’affectionne beaucoup. Je le prenais avant tout pour the Talos Principle que je n’avais pas encore pu essayer, et mon but était d’avoir de quoi m’occuper un peu le cerveau après une période qui m’avait occasionné pas mal d’anxiété.

Je suis donc partie dans ce jeu en connaissant juste son concept de gameplay : ce jeu joue sur la perspective, et les choses ne sont pas ce qu’elle croit. Et ce que j’aime bien, c’est que cela met un twist sur ce qu’on pense habituellement face à cette phrase.

Je ne vais pas énormément ici parler du gameplay, ni vous faire une longue partie ou je fais une sorte de test du jeu. Mais pour le décrire rapidement : je trouve qu’ils ont réussi à rester plutôt intuitif tout en gardant l’aspect « mindfuck » du jeu. Le principe c’est que lorsqu’on prend un objet et qu’on le pose, il apparaitra avec la taille qu’il semble avoir par rapport à l’endroit le plus éloigné de notre champ de vision. De plus, les objets peuvent s’adapter à leur apparence, ce qui permet beaucoup de passage très intéressant ou on joue avec tout ça. Le jeu joue avec notre esprit, mais jamais au point d’être complètement impossible, et j’ai beaucoup aimé cela.

Mais c’est surtout niveau histoire que j’ai apprécié. On commence dans un rêve créé par un groupe qui veut nous faire une thérapie. On suit une sorte d’IA qui nous parle. Dès le début, les choses semblent pas se passer comme prévu, et on se retrouve à désobéir à l’IA et nous retrouvons plongé dans une sorte de mise en abyme de rêves. L’ambiance est plutôt cool, et l’aspect rêve et l’aspect un peu « vide » du jeu (il n’y a que nous et les puzzles, à l’exception des voix du Dr. Pierce et de l’IA) rappelle un peu le mouvement des espaces liminaux et des backrooms.

Ce rappel est fait aussi par le nombre de trucs ressemblant un peu à des glitchs qu’on peut faire par moment, ou on semble un peu vraiment exploiter les mécaniques. Bref, ce jeu me donnait un peu l’impression d’être « Portal dans les backrooms ».

Et c’est là ou arrive pour moi tout le sel du jeu.

Attention, on entre dans la zone spoilers

Parce qu’en fait, tout cela est faux.

Après avoir joué à des jeux comme Portal (et consommé plein d’œuvres avec des notions de sciences et trucs du genre) on s'attend à ce que les gens qui nous gèrent soient soit incompétent, soit maléfique, et c'est pleinement l'attitude que j'avais : pour moi la voix d'organisation était "méchante" et nous avait fait sortir complètement du truc (surtout qu'en plus, elle nous rabaisse plusieurs fois sur notre capacité à suivre), et le Dr Piece je le pensais complètement incompétent. Surtout dans un jeu qui nous dis que les apparences peuvent être trompeuses : est-ce qu’on peut faire confiance du coup à l’IA ?

C’est amplifié dès le début par la présence d’un niveau avec un aspect « horreur » : j'étais en attente de me faire tuer ou qu'un truc horrible arrive. Au début, j'étais du coup dans ce truc, ou je m'attendais à ce que ça passe mal. Ensuite du coup, quand y'a eut le moment où on se réveille à répétition, où on nous a dit que c’était notre faute (enfin, ce que je croyais être une IA) et tout, j’ai été complètement dans une idée du style « okay je vais lui montrer elle me casse les pieds avec ses réveils elle va voir » et j'étais giga motivé par juste agacement de ses phrases à réussir et finir le jeu, exactement face à une GladOS, avec un moment de fierté quand je « casse » le rêve à un moment vers la fin du jeu.

Le jeu me donnait vraiment l’impression que je combattais une IA qui voulait me faire un sale coup, et réussissais à me mettre dans un mood qui me continuait à avancer.

Et c’est là que la fin est arrivé, et c’est franchement quelque chose que j’ai adoré, parce qu’elle m’a dit : « non, ce n’est pas du tout Portal-like ».

Le premier passage qui m’a fait me dire qu’il y avait quelque chose, c’est le premier passage dans le « whitespace » quand on sort du rêve. On a ici le Dr. Pierce qui indique que les technos de rêve et tout son inspiré d’un rêve qu’il a fait. « okay, donc en fait il a vraiment découvert un truc ? Si tout est possible, alors en fait c'est sans doute comme ça que je vais gagner ? », avec les dernières épreuves ou je trouve assez vite et tout comment avancer, les énigmes étant souvent à la fois simples et intelligentes. Et ensuite tout le final est arrivé, et je me suis dit que c’était des génies. Au final, tout le scénario d’enfermement dans le rêve était faux, et j’apprends que tout ceci faisait partie de la « thérapie ». Le Dr. Pierce nous y parle, et nous montre tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on a réussi, en changeant de perspective.

L’idée derrière son discours est que beaucoup de problèmes sont amplifiés par l’anxiété et la peur d’échouer. Et que c’est difficile de changer de perspective et que c’est ce que la thérapie (et un peu le jeu) nous apprend à faire. Et j’ai énormément aimé ça (notamment étant quelqu’un de très anxieux). Je m’attendais à un jeu très cynique à la Portal et tout, pour au final aller vers un jeu avec un personnage qui veut totalement aider le protagoniste… et nous par la même occasion.

Parce qu’au final, tout ce qui est vrai pour le protagoniste est vrai pour nous aussi. Nous avons appris à changer notre perspective, et réussi des puzzles qui reoturnent un peu le cerveau. Sur ce point, le jeu m’a rappelé un peu l’aspect motivant et rassurant d’un Célèste, tout en ayant ce faux ère Portal, qui me rappelle un peu quelque chose qu’à dit Bolchegeek sur la réponse au post-modernisme et Everything Everywhere All At Once :

« Je sais que tu me racontes une histoire, mais je veux que tu me la racontes quand même ».

Superliminal joue sur le quatrième mur, mais pour nous adresser un message d’encouragement, et nous féliciter de ce que nous avons réussi à l’intérieur du jeu. On pourrait jouer au cynique et dire que c’est une vision un peu naïve… mais j’ai aimé justement le fait qu’il se permette d’avoir cette sincérité. Cela aurait été simple, d’avoir Pierce en incompétent, et une méchante IA à combattre. Mais le jeu à décider à la place de nous dire qu’on réussissait à faire des choses.

Cela me rappelle une deuxième chose, sur le rôle que peut avoir le jeu de rôle en thérapie : en effet, lors de thérapie, le jeu de rôle permet de construire des scénarios mettant les joueurs en situation de réussite, face à des épreuves qu’ils peuvent triompher, leur offrant les petites victoires nécessaire pour sortir du cycle de la self-dépréciation et des prophéties d’échec auto-réalisatrices. Si je ne dis pas que Superliminal ou le JDR peuvent vaincre à eux-seul de la dépression ou de l’anxiété, je pense qu’ils peuvent apporter une aide qui peut permettre à des joueur⋅euses de se sentir mieux.

Cela peut sembler pas grand-chose. Peut-être que ça l’est.

Mais beaucoup, c’est souvent plein de « pas grand-chose ».