Prisonnier

13 minutes

« Laissez-moi partir ! » hurlais-je contre la porte désespérément close. « Je peux appeler la police ! J’ai mon téléphone ! Ça ne sert à rien, je ne peux rien vous rapporter ! »

Prisonnier

Aucune réponse. Je donne un coup de pied dans la porte à cause de la colère. Toujours pas de réponse et maintenant j’ai mal. Je m’assois par terre, partagé entre la fureur et la terreur. Que se passe-t-il, qu’est-ce que je peux bien foutre ici ?

J’essayai de rassembler mes souvenirs. Je m’étais endormi comme d’habitude, seul à mon appartement. Puis plus rien. Et puis, je m’étais réveillé dans cette salle étrange, au planché terne et abîme, et aux étagères pleines à craquer d’objets en tout genre et aux murs sales et délaissés. Cela ne m’aidait pas beaucoup à comprendre ce qui se passait. La salle sentait le moisi et l’abandon, et la poussière me faisait tousser. Personne n’y était sans doute entré depuis un moment… Si l’on exceptait la personne qui m’y avait amené pendant mon sommeil. Parce que j’étais certain de ne jamais être entré ici.

L’endroit ne me disait rien, et je me serais sûrement souvenu d’un lieu aussi bizarre. Et je ne voyais toujours pas ce que je fichais ici. Et j’avais peur de ne jamais pouvoir quitter cet endroit.

— LAISSEZ-MOI SORTIR !! hurlais-je à pleins poumon. Je, je ferais ce que vous voulez ! Vous savez, je ne suis pas n’importe qui. Mes parents sont puissants, une ancienne famille de l’empire ! Donc on peut régler cela à l’amiable, tandis que si vous me faites quoi que ce soit, les répercussions seront bien plus dures. On a un deal ?

Aucune réponse. Toujours que le silence.

— Il y a bien une raison pourquoi je suis ici, hein ? On n’enlève pas les gens comme cela, pour rire. Ce serait une attitude hautement illogique. Et vous n’êtes sûrement pas un tueur en série. En effet, vous auriez pu me tuer bien plus tôt… À moins que vous vouliez vous amuser avant… Mais… ce n’est pas le cas. N’est-ce pas ?

Je sentais ma peur grimper au fur et à mesure de ce que je disais. Et si c’était bien cela ? Et si j’avais juste été une victime capturée au hasard par un sadique pervers qui ne cherchait qu’une victime à torturer ou tuer – voir les deux à la fois ?

Je me mis à marcher en rond, mes mains agrippant mon propre tee-shirt. Merde, merde, merde ! Qu’allait-il m’arriver ? Je n’arrivais même pas à réunir mon esprit pour essayer de comprendre ce qui se passait. J’accélérai le pas, de plus en plus stressé. Peut-être que le tueur allait entrer à l’instant. Peut-être que je vivais mes dernières secondes. Je ne veux pas mourir. Du moins, ni maintenant, ni comme ça. Une mort rapide et non douloureuse dans environ une soixantaine d’années ça m’arrangerait. Avoir le temps de réaliser quelque chose digne de moi et de ma famille, au lieu de subir une mort inutile, enfermé dans cette salle. Tout seul.

— Ah ! résonna une voix. Je crois que tu commences à comprendre ou est le problème. C’est moyen, disons que c’est ni la meilleur réaction, ni la pire. Je te mets 11/20, peut mieux faire.

Je me retournai. Qui a dit ça ? Et depuis quand c’était possible de lire dans les pensées ? Malgré la situation et ma frousse, je ne pus m’empêcher de penser à toutes les fois où je m’étais dit qu’heureusement que la télépathie n’existait pas. Non, c’était impossible, elle n’existait pas, si elle existait, ce serait trop gênant… Et c’était le genre de superstition que pouvait se permettre les familles de basse naissance, qui n’étaient pas écrasés sous le poids des responsabilités et avaient le temps pour ça.

Ce type avait sûrement dit ça juste pour me troubler, ou en regardant mes expressions faciales. Il devait y avoir des caméras de surveillance, des hauts parleurs, et le type jouait à me déstabiliser. C’était donc bien un sadique. Je m’assis sur le sol. Je devais rester concentré, rester concentré…

— Tu refroidis pour le premier, mais tu es brûlant pour le deuxième ! retentit à nouveau la voix mystérieuse.

Non, non, non, non, non… C’était impossible, impossible, la télépathie n’existait pas, je le sais, c’est absurde qu’elle existe, elle ne peut pas exister, le surnaturel n’existe pas, tout est rationnel…

— Je ne saurais pas dire si tu es amusant ou tu es ennuyant, soupira mon geôlier. Amusant parce que tu joue au rationnel et tout, mais plutôt qu’être certain de tes explications rationnelle, tu paniques au moindre truc qui pourrait paraître irrationnel, sans même trouver l’explication la plus plausible. Chiant parce que tu es borné.

Mon cœur bat de plus en plus. Cette fois, il ne pouvait qu’avoir lu dans mes pensées, j’en étais certains, c’était impossible de faire de la psychologie aussi bien et de deviner aussi facilement mes hésitations.

— Mais ça je le savais déjà, que tu étais borné… Sinon : Bonne réponse, mais par le mauvais moyen. 8/20.

Par le mauvais moyen ? Mon explication se tenait pourtant… Non ! Je ne dois pas l’écouter. Je repris ma marche, essayant à tout prix de chasser de mon esprit ce télépathe. Et je devais trouver un moyen de sortir, les télépathes pouvaient être un danger. Il ne devait pas rester dans ma psyché, si cela continuait, il pourrait me détruire. Et surtout, mon esprit ne devait pas rester une porte ouverte comme cela. Ouvrir son esprit, son « âme », comme le disent certains, c’était la porte ouverte à toutes les faiblesses.

N’importe qui pouvait alors briser simplement la poutre branlante. Et nous détruire, partir en nous laissant à l’état de ruine. Je n’avais pas passé des années à bâtir un bunker pour qu’un clown psychique pervers et sadique viennent foutre le souk dans mes pensées. Je devais respirer. Il ne s’était pas manifesté face à ce que je disais. C’était un bon point. Peut-être que quand je reprends mes esprits et que je pense de manière claire et rationnelle, il ne peut pas apparaître. D’ailleurs, peut-être n’a-t-il jamais existé, et que c’est juste le stress qui me fait halluciner additivement. Je me sentais reprendre confiance à moi, j’en avait presque oublié que j’étais enfermé sans pour l’instant espoir de sortie.

— Aller, je suis méchant, je vais me présenter, fit la voix, prenant une toute autre posture. Et je vais t’expliquer un peu ce qui se passe.

Apparu devant moi un homme aux cheveux court et noirs, extrêmement bien habillé. Le visage fin, l’allure élégante, il s’installa dans un siège qui n’était pas là une minute avant. Seule chose étrange, des traces de naissance en forme d’étoiles étaient visibles sur sa tempe.

— Mon nom est Norman, jeune homme. Tu es ici dans ton propre esprit. Je vais faire simple : tu es décédé durant ton sommeil, ta famille a été tuée par des révolutionnaires. Cependant, chaque être vivant est en vérité une chose exceptionnelle dans le multivers, un créateur de nouvelles possibilités. Cela veut dire que le hasard cosmique fait bien les chose : il existe dans l’infini des possibilités forcément un univers qui correspond exactement à la nature de ton esprit, et à comment tu peux exister après ta mort. C’est un peu ton paradis ou enfer personnel, tu vois.

Attendez-quoi ? Je comprenais rien à cette histoire, et ça me semblait assez stupide.

— Attendez attendez, repondis-je. Je ne vous crois pas, parce que chacun sait que le paradis arrive quand deux anges viennent nous amener au jugement, ou l’on doit boire l’eau de quatre fontaines, avec un choix que l’on fera essentiellement selon notre plus grande qualité, qui nous amènera vers le paradis approprié à nos grandes forces. Même en imaginant que ma religion se trompe et que vous avez raison : si cela correspond à mon état d’esprit, cela devrait être là que je me trouve.

Le dénommé « Norman » croisa les jambes.

— En vrai, c’est un poil plus compliqué. Tu vois, les esprits sont complexes, même pour un humain. Même si vous êtes pas aux niveaux de titans ou de phosphoriens. Tu es orgueilleux avec une grande tendance à te voir persécuté par tous ceux t’étant – selon toi – inférieur. Du coup, ton esprit s’est construit une super simulation ou tu te fais malmener par des gens que tu peux, comme celui dont j’ai pris la place, qui aurait dû continuer de t’énerver, jusqu’à ce que tu partes, te fasse énerver par quelqu’un d’autre, reviennent et sombre définitivement avec lui. Tu aurais du le rencontrer à la prochaine pièce, d’ailleurs.

Il eut un petit rire.

— On peut dire d’une certaine manière que tes Minos, Éaques et Radamanthe interne sont un peu cruels, des propres juges de l’enfer qui t’ont concocté le petit enfer sur mesure parfait.

Je sentais l’énervement monté.

— Cela ressemble beaucoup à un piège ! Qu’est-ce qu’il était censé dire, celui dont vous avez « pris la place ? Et qu’est-ce que vous voulez dire par là ? »

Il haussa les épaules.

— Oh, trois fois rien, mais suffisant pour t’énerver. Il aurait répété tes pensées, insulté chacune de tes hypothèses, se serait moqué de toi jusqu’à ce que tu cèdes et tombe dans tous ses pièges…

Je me levai. J’en avais marre de ces sornettes, j’allais sortir. Je comprends ton double-jeu, Norman. Tu m’as dit que j’allais partir et sombrer en revenant pour m’empêcher de partir définitivement ! C’est de la psychologie inversée, tu me dis que je sombrerais ici parce que tu sais que je n’ai pas confiance en toi, donc que je me dise que le danger et à l’inverse de ce que tu me dis à l’extérieur ! Ce qui veut dire que je peux et doit partir d’ici.

Je me dirigeais après ces mots vers la porte. Je me levai avec difficulté, ayant très sûrement passé la nuit sur ce plancher, mon dos et mes articulations me faisaient mal comme à chaque fois que je passait une nuit sur une surface trop solide. En tout cas, douleur ou pas, une chose était sûre. Je n’allais pas rester dans cet endroit lugubre. Et surtout pas dans ce froid, dans ce froid qui me glaçait jusqu’au sang. L’endroit ne devait sûrement pas être chauffé. Je me dirigeai donc vers la sortit d’un pas rapide, n’ayant pas envie de m’attarder une seconde de plus. La porte de sortie était une grande porte en bois sombre, imposante et presque effrayante tellement je me sentait tout petit par rapport à elle. Mais ce qui me perturba le plus était l’inscription gravée dessus. Inscription qui n’y était pas auparavant :

« Tu ne vas quand même pas me quitter ? »

Je ne l’avais sûrement pas remarqué la première fois. C’était la seule explication logique. Bon, je devais trouver un moyen d’enfoncer la porte. Sans grande conviction, j’eus le réflexe de quand même vérifier si la porte était ouverte.

Elle l’était.

Je restais méfiant. Il y avait quelque chose qui clochait. Le texte pouvait bien avoir été écrit par mon « ravisseur ». Peut-être était-ce un piège qui m’attendais de l’autre côté. Ici, au moins, je savais ce qu’il y avait. C’était bizarre, mais j’étais en terre connue. Par contre, derrière… Peut-être que la personne qui m’avait enfermé s’y trouvait ? Peut-être qu’il allait m’attaquer ? Et qu’est-ce qu’il y avait derrière ?

Ma curiosité était encore plus attisée, et finalement arriva le moment ou j’ouvris en grand la porte et sortit de la salle, arrivant sur un escalier en colimaçon.

En descendant l’escalier en colimaçon, dont la traversée me sembla longue de plusieurs heures, je réfléchissais… J’étais visiblement enfermé par une sorte de type bizarre qui jouait au télépathe et qui avait le goût des mauvaises histoires d’horreur.

Je me demandais s’il allait faire un truc genre sortir des infos que personne ne sait sur moi… Les murs étaient des murs de pierres fissurées, qui semblait proche de l’effondrement. Après une longue descente, j’atteins la fin de l’escalier, pour arriver dans une nouvelle salle. Cette fois-ci, elle était entièrement blanche, immaculée.

La saleté avait laissé place à une propreté des plus surprenantes. Okay, donc avait j’étais dans le vieux grenier tout sale d’une maison tenue par un maniaque de la propreté ?

Mais au final, je compris ce qui me dérangeait. Ce n’était pas la propreté. Cette salle était vide. Il n’y avait aucun objet, aucun meuble. Que du blanc. Au plafond, au mur, et au sol. Et sur la porte à l’autre bout.

« Bien, tu es arrivé au niveau 2 ! Il est maintenant tant que tu rencontres ton harceleur, n’est-ce pas ? »

Je regardais et sursautai en voyant un jeune homme, proche de mon âge, pendu à corde sortant de nul-part. Je ressentis une envie de vomir. Qu’est-ce qui se passait ?

— Désolé pour la mise en scène un peu lugubre, fit Norman, qui était désormais debout au milieu de ce vide blanc. C’était pour te montrer que j’avais éliminé celui qui aurait dû te détruire de l’intérieur, et dont tu lui avais donné ce rôle.

Je reculais, cette fois vraiment effrayé. Cet homme n’hésitait pas à tuer. J’étais face à un meurtrier.

— Ooh, et tu sais pas à quel point, rigola-t-il. J’ai fait la guerre contre des univers entiers, exterminé les pires oppresseurs et vaincu les monstres les plus effrayant. Je suis comme les étoiles, rien n’échappe à mon regard, mes yeux sont partout dans chaque univers.

Il fit un geste de la main. Et ma vue fut traversée par un nombre incroyable de vision. Des mondes extrêmement différents les uns des autres. Des univers entiers, des guerres entre des empires stellaires. Tout ça devant moi. Cet homme venait bien d’un autre monde. Cet homme avait vu des trucs incroyables. Mais je comprenais toujours pas ce que me voulait un tel être… Au final, je n’étais comparé à lui qu’un petit nobliau d’un monde un peu faiblard…

— Oh, ne te démoralise pas comme ça ! Ton monde n’est pas très grand, mais tu as un sacré potentiel ! Ne t’inquiète pas, je ne veux pas te tuer, juste te faire mieux utiliser dans ton potentiel. Tu es dans ton œuf cosmique, ta monade. Ton dernier bastion. Celui ou personne ne peut t’atteindre – à part moi. Tu es dans l’œuf cosmique, la dernière forteresse que possède l’esprit d’une personne. La source de tout ton monde, la source de tout ton être. Ta conscience. C’est la seule terre ou tu peux être en sécurité. Pourquoi ? Parce que c’est la seule qui t’appartient ! On n’est jamais mieux que chez soi, home sweet home, comme le disent les expressions, non ?

Je regardais.

Ce pouvoir de création de monde. Ce qu’il avait dit plus tôt, les monades. L’œuf cosmique. L’imagination était mon arme, ma retraite. Mon pouvoir. La retraite du créatif. Son atelier ultime, qui est sa propre création. Et derrière cette porte, qu’était-ce ? Ce monde ? Celui d’où je venais ?

— Cette porte est la « porte de l’enfer ». Le but de l’être que j’ai occis était de te faire penser que tu te retrouverais dans ta pire peur, la foule et les autres. Que tu y serais terrifié. Et en vrai c’est pas totalement faux. Comme je te dis, ton esprit à créer ça comme une vraie prison pour t’enfermer. Tous tes regrets sont présents ici. Tout ton savoir que ton système est injuste. Toutes les fois où tu as eu envie d’abdiquer. Toutes les fois où tu as regretté ta paresse à essayer de déconstruire tes privilèges.

Il se rapprocha de moi.

— Toutes ces fois ou tu as pensé que les révolutionnaires auraient un peu raison de te tuer.

Je reculai. Non, je n’avais jamais pensé ça ! Ce, ce n’était pas vrai. J’essayais au maximum de me convaincre. Que j’avais mérité ma place. Que je n’avais rien fait de mal aux autres.

— Ne t’inquiète pas… tenta de me rassurer Norman. Tout ça, ça n’a même pas de sens au niveau d’un univers. Ce que je veux dire par là c’est que ton choix ici était faussé depuis le début. Si tu restais ici avec ton « juge des enfer » perso, tu perdais. Si tu sortais, tu allais juste te faire harceler constamment. Si tu restais avec lui, tu sombrais dans un abyme. C’est ton esprit. Tu te hais, et tout ça, tu t’imagines que tu le mérites.

Il fit quelques pas.

— Cependant, je viens t’apporter une troisième voie. Accepter la puissance de l’anomie. Je peux te confier une partie du pouvoir extraordinaire qui m’a été confié, ce qui te permettra de traverser les mondes, et d’aller ou tu veux. En échange, tu devras m’obéir, et tout ce monde va être transformé par mon pouvoir pour me servir de QG. D’accord ?

Je reculais de quelques pas. Cela ne m’allait pas non plus ! J’avais donc le choix entre sombrer, entre le faire harceler… où abandonner ma liberté ? Il devait y avoir un autre moyen. Je devais pouvoir fuir. C’était mon monde, si je fuyais, je devais bien pouvoir créer un continent, loin de lui !

La porte. Je pouvais prendre la porte. Oui, je pouvais le fuir, je pouvais partir.

— Je ne peux en effet pas te retenir… soupira-t-il. Mais n’oublie pas… Je ne suis pas de cette simulation, et c’est ta propre haine intériorisée qui fait ça. C’est ça, que tu dois fuir. Don’t shoot the messenger, comme ils disent.

Tant pis, au moins je devais essayer. Je me dirigeai vers cette porte de sorti en courant, au cas où il me tendait un piège. Mais il ne fit rien. En quelque pas, j’étais devant la porte, qui était tout simple, comme une porte de cuisine. Avec un post-it dessus avec un mot. « Vous qui sortez, abandonnez toute espérance ».

Il était trop fort. Je me sentis mal, comme si ma respiration se coupait. Je pensais à la foule. Je les voyais, ces silhouettes informes, qui m’entouraient, qui formaient une véritable prisons. J’entendais des voix. Est-ce que ces gens allaient m’attaquer ? Non, calme-toi, calme-toi, tout va bien… J’étouffais, je me noyais, cet océan d’humain était impossible à traverser… Je les voyais, toutes ces personnes, qui était comme moi, mais qui me terrorisait… Ne pas se faire remarquer, ne pas se faire remarquer. J’étais compressé, j’étais écrasé… Il fallait que je me ressaisisse. Il n’y avait de foule devant moi, c’était une crise de panique.

Je devais me concentrer, je devais fuir.

Je devais quitter ce monstre qui me manipulait. Je ne peux pas rester une seconde de plus. Il a perverti mon œuf cosmique. Ma seule cachette n’en est plus une, seule la vie de fugitif me reste, à présent. Je déglutis, toujours en lutte contre le froid qui s’insinuait en moi.

Mais j’ouvris quand même la porte, pour me retrouver dans un chemin forestier, de nuit.

Je soupirais de soulagement : Il était vide. Personne.

La seule lumière que j’avais était celle de lanternes accrochées sur les arbres, qui me permettaient de pouvoir avancer. Je fis quelque mètre, avant d’hésiter. Il faisait quand même sacrément noir. Et c’était bien ici le lieu de la foule. Ils pouvaient être partout. Mieux valait peut-être supporter Minos que d’avoir la vraie foule face à soit. Mais à peine eus-je fait un seul pas en arrière qu’un corbeau vint se poser sur une branche devant moi, me dévisageant de ses deux petits yeux brillants. Je continuai d’avancer, décidant de ne pas avoir peur d’un simple corbeau.

Mais je me figeai au moment où il se mit à me parler.

— Stupide. Lâche

C’était donc le harcèlement dont il parlait, je ne devais pas l’écouter. Cependant, d’autres corbeau virent. Les voix pour me ramener vers la maison. Dans le scénario originel dont Norman m’avait parlé, ce qui devait me faire rebrousser chemin.

— Stupide, répéta-t-il. Tu es stupide. Lâche. Tu fuis.

Chut, je n’entends rien. Tu es de toute façon qu’un imbécile, normal parce que tu fais partie de moi. Mais en vrai, c’était ce qui m’attristait le plus. J’avais toujours pensé que ça allait, que j’avais juste un peu tendance à douter de moi. Est-ce que je me haïssais vraiment à ce point ? Et je me demandais… est-ce que j’avais pas un peu raison de mériter tout ça ? Je me ressaisis. Ce n’était pas le moment de penser à ça, je devais avancer.

Maîtriser comme par magie cette monade. Créer un continent. Et trouver ensuite ce dont j’avais besoin.

Cependant, les voix des corbeaux s’accumulèrent. Ils me répétaient tous les défauts que je me trouvais. Et je commençais à réfléchir… est-ce que finalement, obéir à Norman n’était pas mieux que ça ? La forêt me semblait infinie. Je ne voyais pas de fin du bois à l’horizon. Les ronces me transperçaient les jambes malgré mon jean, des échardes s’enfonçaient dans mes pieds malgré mes chaussures. Aucune partie de mon corps n’était épargnée, j’avais l’impression que mon corps n’allait rester plus qu’une grande plaie.

Plus le chemin s’enfonçait, plus j’avais l’impression que la situation empirait. Les corbeaux venait me piquer chaque endroit de mon corps disponible – c’est-à-dire tous, malgré mes vêtements. Leur bec frappait mon visage, mes bras, mon torse, mon entrejambe, mes jambes, mes pieds…

Mais ce qui me fit abandonner, fut de me retourner.

La maison était encore visible, et n’était qu’à quelques dizaines de mètres. J’avais à peine avancé. Je compris que je n’avançais pas, et commença à courir vers le bâtiment, fuyant les corbeaux. J’avais mal partout, j’avais des épines et des échardes dans la peau. Je n’entendais plus les voix des corbeaux. Ils avaient fait leur boulot, je fuyais.

Je reconstituais tout en courant le plan originel de Minos. Il avait pour objectif initial de me faire sortir de la salle principale de l’œuf – le grenier, qui représentait le bazar que c’était dans mes idées, avec des trucs partout… La poussière, c’était peut-être pour faire grenier abandonné, un genre d’endroit que j’avais toujours rêvé de visiter – dans l’entrée pour commencer à avoir un pouvoir plus fort sur moi, dans le but de me faire fuir vers la foule. Dans cette entrée, il m’aurait terrifié, pour que je le fuie en prenant mes jambes à mon cou. Ensuite, voyant que je sortais, il avait envoyé le corbeau… Mais il avait été éliminé par ce Norman.

J’entrai dans le bâtiment, traversant la salle vide – ou le bourreau exécuté n’était plus présent. Je retournerais dans l’œuf cosmique, à l’abri. Au cœur de ma monade. Je continuerais de vivre ma vie comme je l’entends, essayant d’avoir le moins d’histoire possible. J’allais obéir à Norman, en lui demandant de me réserver des tâches simples. Peut-être que je pourrais être juste quelqu’un travaillant dans ce monde lui servant de QG, pour l’aider à la construction.

L’escalier en colimaçon ne fut pas long à remonter – à ma grande surprise – et je me retrouvai enfin dans la salle ou tout avant commencé.

Mais elle était vide.

Surpris, je me mis à regarder dans tous les sens. Plus aucun meuble ni rien. Je regardais au plafond, ou était suspendu un grand chandelier magnifique, avec d’étranges flammes violettes, qui projetaient une lumière surnaturelle dans toute la salle. Et il était là.

Si Minos avait été encore là, je serais tombé dans son piège. Mais maintenant je comprenais. Je ne pouvais pas ne pas tomber dedans. J’avais perdu dès que j’étais entré ici. Et je me doutais que ce pacte avec Norman ne serait pas la panacée non pus… mais c’était le moins mauvais des choix.

Mais elle était vide. Surpris, je me mis à regarder dans tous les sens. Plus aucun meuble ni rien. Je regardais au plafond, ou était suspendu un grand chandelier magnifique, avec d’étranges flammes violettes, qui projetaient une lumière surnaturelle dans toute la salle. Et il était là.

— Je t’attendais.

J’approchai de Norman. J’acceptais son offre. J’acceptais de lui obéir, en échange de ses pouvoirs, si ça me permettait d’échapper à cet enfer. Il me serra la main, et je senti une immense puissance monter en moi. Une puissance ancienne, inconnue, qui emplissait chaque cellule de mon être, et supprimait toute la douleur. Je n’avais plus ni écharde, ni épine.

Cependant, j’entendais une étrange voix, en arrière plan.

— Maintenant, il faut transformer ce monde… Cependant…

Je senti mon corps se mettre à bouger de lui-même.

— Tu vois, ce monde, c’est toi. Pour le transformer, tu dois fusionner avec. Redevenir monde. Pour que l’anomie emplisse ce monde. Pour que tu sois exalté, que tu deviennes à toi tout seul un immense univers. Oh ne t’inquiète pas, il restera une fois que ce sera fait un petit quelque chose de toi, un petit fragment fragile qui m’obéira au doigt et à l’œil.

Je vis une porte à l’opposée de la porte aux gravures. Je m’y dirigeai sans pouvoir me contrôler et sortit immédiatement dans la salle.

Tout ce qui m’attendais était un précipice ou je sombrai. Le noir sembla tout absorber, je ne voyais plus rien. L’obscurité et le froid était partout, en moi, en mon esprit. J’avais du mal à penser, je ne me sentait même plus chuter dans cet abyme infini.

— Ne t’inquiète pas, tu ne seras plus jamais seul, avec toi sera toujours l’anomie et la puissance. Toujours elle te susurrera, jamais ne quittera ton esprit. Et tu auras une destinée grandiose, tu seras le QG de la plus grande armée qui existe, et ta conscience pourra participer à des missions de la plus grande importance qui soit. Évidemment, tu n’aurais pas la possibilité de vraiment « changer «  les choses, puisque tu ne seras qu’un fragment de toi-même, mais tu pourras aider, transmettre des données.

« Et tu pourras avoir confiance en moi.

Je suis là pour toi. »